Un décret, même signé à la hâte sur le bureau présidentiel, ne suffit pas. En France, l’instauration de la loi martiale n’est pas un réflexe automatique du pouvoir exécutif. Il faut un vote du Parlement, une décision collective, mûrie, pesée, un acte rare, réservé aux basculements historiques. Depuis la naissance de la Ve République, jamais un gouvernement n’a osé actionner ce levier, même lorsque la tempête grondait sur le pays.
Ce dispositif légal ne s’est pas forgé en un jour. Il est le fruit de décennies de débats, de méfiance envers les dérives autoritaires. Les lignes de faille sont connues : à la moindre zone d’ombre dans la procédure, c’est tout l’édifice institutionnel qui pourrait vaciller.
La loi martiale en France : définition et origines
Lorsque l’on utilise le terme loi martiale, on parle d’un basculement singulier : le droit commun laisse place à l’autorité militaire, si la nation est directement menacée. L’idée semble appartenir au passé pourtant, les fondements de ce mécanisme habitent encore la mémoire collective et les textes de la République française. Le mot, lui, n’apparaît plus dans la constitution actuelle, qui privilégie une notion voisine : l’état de siège. Ce régime d’exception trouve sa source dans les secousses de la Révolution puis de l’Empire.
Au XIXe siècle, la France a acté une différence de taille : la loi martiale à l’anglaise, celle qui torpille toute structure civile, n’a pas sa place sur notre sol. Le modèle français retient l’état de siège, qui maintient tout de même un contrôle parlementaire, même si la marge de manœuvre se rétrécit en situation extrême. La défense des droits fondamentaux prévaut, une vocation réaffirmée à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
En 1958, les rédacteurs de la constitution de la Ve République écartent avec fermeté l’idée d’une « loi martiale » à la manière d’autrefois. Les restrictions de liberté sont strictement délimitées, l’anéantissement pur et simple du droit banni. La mémoire des actes constitutionnels imposés sous Vichy jouait alors un rôle majeur : il s’agissait de garantir, coûte que coûte, la protection des libertés collectives, même sous l’orage.
Qui détient le pouvoir d’instaurer la loi martiale sur le territoire national ?
La loi martiale stricto sensu n’est plus d’actualité dans l’arsenal juridique français ; en revanche, l’état de siège fonctionne selon un équilibre constant entre le pouvoir exécutif et l’instance parlementaire. La constitution de la Ve République ne détaille pas la « loi martiale » mais encadre avec précision l’état de siège et l’état d’urgence.
Le déclenchement de l’état de siège repose sur une procédure claire : le président de la République le décide lors du conseil des ministres, mais la mesure ne devient effective qu’après son approbation par le Parlement dans un délai de douze jours. Les deux chambres, Assemblée nationale et Sénat, sont ainsi garantes d’un minimum de contrepoids, même dans l’instant du péril. Cette signature engage chaque membre du gouvernement : impossible pour le chef de l’État de gouverner seul dans l’urgence.
Aucun épisode de la Libération à aujourd’hui n’a vu le retour à la loi martiale. Les traumatismes de 1940, maréchal Pétain, pleins pouvoirs, actes constitutionnels, continuent de peser lourd. Depuis, aucune élection présidentielle, aucune alternance, n’a renié le principe : la décision d’exception doit être collective, contrôlée, destinée à l’urgence et limitée dans le temps. Le Parlement, à chaque fois, s’impose en rempart.
Quels sont les effets juridiques et politiques d’une telle mesure ?
Le passage à l’état de siège bouleverse l’ordre établi. Le code de la défense transfère aux autorités militaires des domaines entiers réservés, en temps normal, aux instances civiles. Parmi les prérogatives attribuées à l’armée figurent :
- La possibilité de procéder à des réquisitions de biens ou de personnes
- Des restrictions de circulation ou de rassemblement
- L’intervention directe de l’armée dans des missions de police traditionnelle
Tout l’arsenal est conçu pour répondre à un besoin extrême : guerre, insurrection majeure, menaces directes sur l’existence de la nation.
Côté justice, l’état de siège marque une bascule : les tribunaux militaires prennent le relais des juridictions civiles. Les droits fondamentaux, quoique maintenus dans l’intention, ne s’exercent plus qu’à la marge : leur application devient contrôlée, fragmentaire. La tension entre préservation de la sécurité collective et sauvegarde des libertés individuelles devient palpable, parfois douloureuse.
Politiquement, la mise en œuvre d’un tel régime fait apparaître une nette rupture. L’exécutif, encadré par le contrôle parlementaire, obtient des attributions hors du commun. Les débats s’échauffent au sein de l’Assemblée comme du Sénat, car la prolongation de l’état de siège impose systématiquement un vote. Les fractures s’expriment : peur de la dérive autoritaire d’un côté, nécessité de réagir sans entraves de l’autre. Chacun puise dans la mémoire nationale, hantée par les drames de la Seconde Guerre mondiale, pour peser ses arguments.
La loi martiale face à la continuité de l’État en temps de crise : enjeux et débats
L’idée de loi martiale soulève une question de fond : comment la République française parvient-elle à sauvegarder la continuité de l’État en période de tourmente ? Impossible d’ignorer les exemples venus d’Ukraine ou de Corée du Sud, où de telles mesures ont été appliquées de façon concrète. En France, la pesanteur de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale nourrit une vigilance de tous les instants. Il faut trouver, chaque fois, la frontière précise entre la préservation de la sécurité nationale et la protection des libertés publiques.
La décision d’activer l’état de siège, ou de le prolonger, s’accompagne d’un formalisme rigide et d’un contrôle permanent. Si le président de la République et le gouvernement lancent la procédure, le dernier mot appartient toujours au Parlement. Ce verrou, parfois débattu à l’approche de chaque élection présidentielle, sépare l’urgence passagère de la suspension durable des libertés. À aucun moment, la facilité ne l’emporte sur le risque de dérive.
Les institutions françaises gardent cet héritage en alerte constante. L’expérience du passé a forgé une redoutable prudence : les régimes d’exception, on le sait, n’ont de sens que s’ils restent scrupuleusement bornés et temporaires. Le Conseil constitutionnel veille encore et toujours. En France, l’exception se doit d’être un passage, jamais une route sans fin. À chaque crise se pose à nouveau le même défi : préserver la frontière fragile entre ordre public et liberté, et refuser de céder à la tentation du vertige.


